What i will do with that ? (1)
James avait toujours détesté prendre l'avion. Il avait presque toujours réussi à l'éviter jusqu'ici, même lorsqu'il avait quitté son New Hampshire natal pour venir s'installer à New York à l'âge de vingt-deux ans, il avait alors simplement claqué le restant de sa bourse scolaire pour se payer un van Général Motors et taillé la route jusqu'à la plus belle ville du monde en embarquant le strict nécessaire : Blue, sa petite amie anciennement hippie, et Lenny, son meilleur et seul véritable ami calé à l'arrière avec les cartons, chose contre laquelle il avait d'ailleurs protesté jusqu'à ce que James consente à le laisser conduire bien que Lenny n'ait jamais passé son permis, et qu'ils se fassent arrêter quelque part entre Hartford et New Britain. Et même là, James avait refusé d'emprunter la voie aérienne pour parvenir à destination, ce que Lenny refusait de comprendre avec obstination mais que Blue accepta avec beaucoup d'empathie en disant qu'ainsi ils auraient davantage le temps pour profiter du paysage.
Seulement, cette fois, James et Lenny devaient se rendre à Los Angeles et il y en avait pour beaucoup plus que trois cent miles ; James tenta bien de plaider sa cause auprès de leur éditeur, mais rien à faire, le planning était serré et il n'était pas question de gaspiller l'argent de la boîte dans des motels et des billets de train. La veille du départ, Lenny l'emmena purger sa peine dans un bar de la 54ème rue, espérant que si James avait une gueule de bois suffisante pour dormir pendant la totalité du voyage, il ne l'entendrait pas se plaindre. Tout le monde avait une façon différente de réagir face à la gueule de bois, mais l'organisme de James, lui, avait des idées bien arrêtées ; dès qu'il n'était plus tout a fait capable de marcher droit, vous pouviez être sûr qu'il passerait les prochaines vingt-quatre heures à ronfler comme un bienheureux. Blue, elle, profitait du mal-être qu'apportait le trop-plein d'alcool pour peindre des formes psychédéliques et colorées sur des toiles géantes qu'elle achetait à l'avance et stockait spécialement pour l'occasion dans un coin de leur appartement ; elle disait qu'il fallait faire sortir tout le côté négatif de soi, en le transformant en quelque chose de beau. Elle avait bien essayé de faire peindre James après une soirée particulièrement arrosée, mais il s'était endormi sur sa palette et s'était réveillé avec le visage vert pétant. Pour Lenny, c'était autre chose. Si James avait décidé de mettre le holà sur la bouteille peu avant ses vingt-huit ans, son meilleur ami, lui, ne se privait pas pour se servir allègrement de sa part hypothétique. Comme chaque lendemain de soirée, James sortait de sa chambre et découvrait alors Lenny larvé sur le canapé devant des programmes télé abrutissants, essayant de faire passer sa gueule de bois en tétant inlassablement un biberon de café froid et sans sucre. James avait eut beau lui répéter que le café était diurétique et déconseillé après une trop grande absorption d'alcool, rien ne décourageait jamais le semi-anglais dont les lèvres restaient collées à la tétine comme s'il avait peur qu'on lui arrache ce qu'il pensait être son salut contre un mal de tête carabiné. Parfois seulement il consentait à relever la tête pour répondre oui ou non d'une voix tellement pâteuse qu'il aurait put avoir de la purée plein la bouche et produire le même résultat sonore sans faire aucun effort, puis replongeait dans son mutisme en serrant contre lui alternativement le biberon marqué « Monday », « Thursday », ou « Nevermind » selon le jour de la semaine ou se produisait l'absurde scène de décantation alcoolique. C'était lui-même qui avait acheté les biberons et qui avait gribouillé dessus les jours de la semaine avec un marker rouge. Si au départ Blue avait trouvé cela mignon, James, lui, ne s'était pas privé pour lui dire que tout ça était pathétique.